EH ETRE !

Ces deux mots peuvent constituer une traduction acceptable du spectacle que soutenait Tous Mécènes les 12 et 14 décembre 2012 : HEY BE.
J’y trouvais un sens qui me convenait bien, d’un esprit résolument optimiste : « n’oubliez pas de vivre », même si je ne voyais pas très bien le lien avec BOURVIL, colonne vertébrale de l’inspiration des deux artistes : Elisabeth HOLZLE et Pascal SANGLA.
Je me trompais. Le lien avec BOURVIL était bien là, pas le sens. Le lien ? Les initiales A.B. (André BOURVIL). Le sens ? Ces initiales, prononcées dans la langue de Shakespeare donnent à peu près l’écriture phonétique « hey Be ! ». Voilà tout.
C’est dire que nous ne savions pas réellement à quoi nous attendre malgré l’avertissement qui nous avait été donné par l’invitation : « un show fabriqué avec des bouts de ficelle ». Une appellation fantaisiste, des chansons portées (autrefois) au public par André BOURVIL (mais lesquelles ?) sans certitude qu’elles parleraient à toutes les générations, une comédienne chanteuse, un pianiste comédien. Ce dont nous ne doutions pas, plus rien n’étant à prouver pour ce qui les concerne, c’est de l’accueil de nos hôtes, François et Stella.
Nous devions à l’hiver que le lourd rideau métallique fermant la baie vitrée soit descendu, formant ainsi le fond de scène. Rouge sang de boeuf. Deux micros, un clavier électrique, un ordinateur portable, deux spots. La modestie de ce tout pour une curiosité : pourquoi, dans le foisonnement créatif du vingt et unième siècle et un héritage d’une richesse infinie, des artistes pas même quadragénaires (ou à peine) eux-mêmes auteurs, ont-ils eu l’idée étrange de s’intéresser au répertoire musical d’un acteur bien plus connu pour ses rôles énormes dans des films cultes, certes intergénérationnels, mais tout de même ?
Les prestations, l’invention d’Elisabeth HOLZLE (Lisbeth El Sol) et de Pascal SANGLA (El Pascual), ont immédiatement levé le voile : ce répertoire, méconnu ou oublié, est une mine de mélodies, de poésie, de drôlerie, de folie douce. Une source d’émotions à laquelle l’envie de puiser devenait, en les voyant, une évidence.
L’interprète seul n’aurait pu se confronter à BOURVIL tant celui-ci était l’âme de chansons à l’écriture desquelles il n’avait pourtant que très peu pris part. Mais des comédiens musiciens de la trempe de ces deux là c’était autre chose.
Si je devais ne m’exprimer qu’en quelques mots je dirais ceci. Des voix faciles, justes, précises. Une mise en scène épurée. Un jeu d’acteur minimal, presque limité aux expressions des visages, aux parcours des regards, à leurs intensités. Quelques pas de danse. Une capacité inouïe d’Elisabeth HOLZLE à laisser le haut de son corps dans l’immobilité presque totale tandis que hanches et jambes, parfois en décalage avec texte et chant, paraissent se moquer d’eux. L’aisance musicienne de Pascal SANGLA jouant la comédie et chantant tout en assurant l’accompagnement au piano, nous laissant croire que l’instrument devient un simple accessoire, comme s’il n’engendrait aucune contrainte et ne résultait d’aucun apprentissage. Un prolongement de lui.
Mais ces quelques mots sont trop courts. Il faudrait rajouter, en vrac peut être : la qualité et l’humour des textes écrits par l’un et l’autre pour faire le pendant aux chansons, la diction remarquable, toute particulière et propre à Elisabeth HOLZLE, la chanson en play-back, le jeu de piano en play-back, le remake cinématographique, la conversation téléphonique, la fleur de pissenlit (ou les petites étoiles de neige)…
Il faudrait aussi rajouter les découvertes auxquelles ces deux artistes nous ont conviés.
Il était en effet à prévoir que quelques uns, dans le public massé des mécènes (ou des mécènes amassés), auraient déjà fredonné, ou entendu, un ou deux titres de BOURVIL, mais lesquels ? Allez, citons en quelques uns que les initiés pouvaient connaître : Salade de fruit, La tactique du gendarme, à Joinville-le-Pont ou encore Un Clair de lune à Maubeuge.
Je pensais maîtriser le sujet.
Hey Be nous a fait un sacré pied de nez ! Pas l’ombre de ces succès dans le choix de nos artistes mais des merveilles, des pépites d’or parmi lesquelles celles-ci que je ne connaissais pas toutes : « les haricots », « les crayons », « la ballade irlandaise », « c’était bien », « ma petite chanson », « la ronde du temps », « berceuse à Frédéric » et celle que je qualifierai de monument (de dinguerie) : « le jour J ».
Je ne veux pas omettre d’évoquer « La Tendresse ». Elisabeth HOLZLE nous en a délivré une interprétation qui m’a coupé le souffle. Sans texte. Simplement intense.
Elisabeth HOLZLE et Pascal SANGLA avaient besoin de Tous Mécènes, c’est-à-dire d’un public. Ils étaient là aussi pour mettre leur spectacle à l’épreuve puisqu’ils ne l’avaient encore jamais donné. Tous, ou presque, étaient au rendez-vous. Quel rendez-vous !
Je ne crois pas que l’on puisse dire qu’ils ont revisité le répertoire de BOURVIL tant il en ont conservé la fraîcheur, la sensibilité, la naïveté. Ils l’ont réinvité pour nous rappeler que la poésie et la magie ne prennent pas d’âge, que c’est leur faire honneur que de les évoquer et qu’il est des chansons qui sont inaltérables.
J’entendais ceux qui disaient que remontaient en eux, peu à peu, les mélodies de leur enfance et qu’ils étaient heureux de ce bain de jouvence. Nous entendions tous ceux qui chantonnaient la ballade irlandaise en une douce et tendre réminiscence.
J’entendais encore ceux qui s’étonnaient que telle ou telle chanson ait été au répertoire de BOURVIL ou celui qui, prénommé Frédéric, regrettait que la berceuse homonyme ne lui ait jamais été fredonnée au temps où elle eut pu être d’un grand secours.
J’entendais et je voyais surtout ce bonheur ambiant que je partageais, joie de la rencontre et de l’instant marquée à l’admiration portée à ces artistes. J’espère que l’illisible nous informera de leur actualité ; je pressens qu’elle sera riche car leur art est pluriel, leur envie authentique, leur démarche sincère, leur talent certain et sans compromis.
EH, LA VIE !
SIDNE CRINCHABOU

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