L’astreinte opérationnelle pharmaceutique : résultats de l’enquête de la commission « missions opérationnelles »

L’enquête réalisée auprès de la majorité des Services d’Incendie et de Secours (SIS) en 2018 par la Commission « Missions Opérationnelles » continue à être exploitée par ses membres. Elle a permis de mettre en évidence qu’un tiers des PUI ont mis en place une astreinte opérationnelle. Ce nouvel article a pour vocation de faire le point sur cette organisation assurant une disponibilité opérationnelle pharmaceutique.

NB : Est d’ « astreinte » tout personnel joignable et engageable dans un délai défini et compatible avec le règlement opérationnel du SIS, sans obligation d’être posté dans un centre de secours. Cela correspond à la possibilité d’engager un pharmacien de sapeurs-pompiers, volontaire ou professionnel, pendant ou en dehors des heures d’ouverture de la PUI.

  • Que disent les normes en vigueur en matière d’astreinte pharmaceutique ?

Si la permanence des soins est clairement établie comme la première mission de service public par la loi HPST (article L. 6112-1 du CSP), la permanence pharmaceutique quant à elle n’est pas aussi clairement établie et peut relever d’une organisation en amont mise en place par les directeurs d’établissement de soins (hôpitaux, cliniques, etc.).

Contrairement aux pharmaciens d’officine ou à certains pharmaciens d’industrie, les normes applicables aux PUI de SIS ne prévoient pas explicitement l’obligation d’assurer une « astreinte pharmaceutique ». Le point 2.2.1.1. des Bonnes Pratiques de Pharmacie des SIS précise que « Le pharmacien chargé de la gérance doit organiser son temps de travail afin d’assurer les besoins pharmaceutiques quotidiens du SDIS. Par ailleurs, il doit mettre en place une organisation permettant d’assurer les besoins urgents de l’établissement. »

C’est ainsi que les pharmaciens ont mis en place, a minima, un système de dotations au sein des centres de secours permettant de pourvoir aux besoins logistiques secouristes et médicaux assurant ainsi la permanence de l’aide médicale urgente en l’absence de personnel pharmaceutique.

En revanche, comme dans toute pharmacie à usage intérieur, la présence du pharmacien de sapeurs-pompiers est obligatoire pour assurer toute commande ou dispensation de médicament ou de produits du monopole (dispositifs médicaux stériles, etc.). Il en va de même aussi par exemple pour la gestion des alertes de pharmaco- ou matériovigilance.

Une astreinte pharmaceutique au sein d’une PUI d’un SIS peut également permettre de développer des activités extra-pharmaceutiques : matériel biomédical, conseil technique opérationnel sur le risque chimique, biologique ou bien en matière d’hygiène par exemple.

L’arrivée en 2016 dans les SIS des lots gouvernementaux « PRV NRBC » a aussi été le déclencheur d’une réflexion sur l’instauration d’une astreinte pharmaceutique pour un certain nombre de SIS. En effet, la mise à disposition d’antidotes, de médicaments et de matériels médicaux en grande quantité ayant pour but d’être mobilisés dans un contexte NRBC sous-entend une gestion et une utilisation par des professionnels formés, dont les pharmaciens de sapeurs-pompiers.

  • L’astreinte pharmaceutique aujourd’hui dans les SIS de France


Les résultats de l’enquête réalisée en 2018 auprès de très nombreux pharmaciens de SIS a permis de réaliser un état des lieux quasi-exhaustif : un tiers des SIS a mis en place une astreinte pharmaceutique, dont plus de la moitié (53 %) pour les SDIS de catégorie A et 22 % des SDIS de catégorie C.

Mise en en place une astreinte pharmaceutique dans les SIS en 2018 (toutes catégories confondues)

En termes de couverture opérationnelle :

Ces astreintes sont assez similaires en ce qui concerne la plage d’astreinte : 26 PUI sur les 28 qui assurent une astreinte couvrent la période 24H/24 et 7J/7 contre 2 PUI d’astreinte uniquement les week-ends.

 

En termes de ressources humaines :

80 % font appel aux pharmaciens de sapeurs-pompiers volontaires pour permettre la couverture de l’astreinte quel que soit le type de SIS.

En termes d’activités opérationnelles :

Dans le panel des activités couvertes par ces astreintes, la très grande majorité (25 sur 28 PUI) gère la logistique des réarmements suite à une forte activité opérationnelle ainsi que l’engagement dans le cadre d’un plan NOVI (NOmbreuses VIctimes) si besoin.

Le reste des activités couvertes par cette astreinte est plutôt variable : risques technologiques (chimiques, radiologiques, biologiques), risque infectieux, soutien sanitaire et alimentaire, hygiène.

Quelques exemples de la diversité des sollicitations des pharmaciens :

  • Dispositif prévisionnel exceptionnel (les WE) pendant la période des manifestations des gilets jaunes.(SDIS 45).
  • Menace de Teknival (PMA assorti de matériel spécifique) dans l’attente de connaitre le département d’implantation (SDIS 45).
  • Soutien technique à l’officier SINUS (SDIS 23).
  • Installation d’un PMA dans la préfecture du Puy-en-Velay lors de la manifestation des gilets jaunes (SDIS 43).
  • Réassort de produits pharmaceutiques lors d’une toxiinfection alimentaire de 150 personnes installés (SDIS 43).
  • Fuite d’acide chromique dans une entreprise : avis toxicologique (SDIS 78).
  • Contamination d’un VSAV par une victime atteinte de diarrhée à Clostridium difficile : conseil technique en matière d’hygiène et de désinfection (SDIS 78).
  • Mélange accidentel de produits chimiques dans une piscine collective : réflexion sur les possibilités de neutralisation (SDIS 78).
  • Feu dans un entrepôt de stockage de lin : avis toxicologique sur les fumées d’incendie (SDIS 78).
  • Feu dans un pavillon où sont stockés des engrais chimiques : conseil technique en matière de gestion des eaux d’extinction contaminées (SDIS 78).
  • Suspicion de victimes du virus Ebola de retour d’Afrique : conseil technique en matière d’hygiène et de désinfection (SDIS 78).
  • Sollicitation de l’officier de santé départemental par le CODIS pour confirmer les besoins en SOUSAN ou conseil médical, l’officier de santé étant à tous de rôle un MSP, ISP ou PSP (SDIS 51) (une autre façon pour le PSP d’être présent sur l’opérationnel sans l’organisation d’une astreinte pharmaceutique stricto-sensu).
  • Feu avec présence d’un PSP d’astreinte 24h/24 pendant les 4 jours que dura l’incendie afin d’assurer les besoins en matériel médical aux SP (SDIS 33).

A noter que les pharmaciens exerçant dans des SIS de taille modeste se verront confier des missions plus diversifiées que ceux de taille plus importante ; cela peut certainement s’expliquer par la présence d’officiers de sapeurs-pompiers spécialisés plus nombreux dans les SIS de catégorie A.

Type d’activités assurées en astreinte toutes catégories confondues en 2018 :

  • Le risque NRBC (logistique pharmaceutique, antidotes, etc…) : 65% des PUI assurant une astreinte, activité couverte notamment par des SIS qui ne possèdent pas de lot PRV NRBC.
  • Soutien sanitaire ou alimentaire (RAVSAN ou SSO) : 44% des PUI assurant une astreinte, activité qui peut aller de la participation en renfort au SOUSAN au simple ravitaillement des rations alimentaires ou hydriques.

En termes de moyens mis à disposition :

Concernant les moyens, si 100 % des pharmaciens d’astreinte sont pourvus d’un récepteur d’alerte (« bip ») ou d’un téléphone d’astreinte, il n’en va pas de même pour les véhicules opérationnels où les pourcentages varient de 74 % en catégorie A à 14 % en catégorie C. Les différents types de véhicules sont :

  • Des véhicules opérationnels réservés auprès du pool de la structure
  • Des véhicules de service ou des véhicules attribués à un pharmacien
  • Des véhicules personnels du pharmacien (s’assurer dans cette situation qu’une assurance professionnelle a bien été souscrite)

En termes de fréquence de sollicitation :

La moyenne des sollicitations est de l’ordre de 7 sorties annuelles. Peu de CODIS sollicitent régulièrement leur pharmacien. Certains SIS peuvent néanmoins engager leurs pharmaciens à raison d’une cinquantaine de sollicitations annuelles.

En termes de ressenti par les pharmaciens :

La totalité des pharmaciens assurant une astreinte considèrent cette mission comme une obligation professionnelle.

La majorité estime cette mission motivante et attractive tandis que d’autres la considèrent comme une mission anxiogène (20 % en cat. A, 40 % en cat. B et 15 % en cat. C).

Conclusion

Bien que l’astreinte pharmaceutique chez les sapeurs-pompiers ne soit pas réglementairement obligatoire, ce mode d’organisation existe historiquement dans certains SIS et est de plus en plus répandu depuis le déploiement des lots PRV NRBC. C’est alors l’occasion pour les pharmaciens de sapeurs-pompiers de diversifier leurs compétences en mettant à profit leurs connaissances scientifiques au service des secours : risques technologiques, conseil technique biologique, hygiène, etc., mais également d’être plus présent sur le volet opérationnel du métier de SP.