MELANIE GAUTIER

CELLULE 719 : HYPNOTIQUE ?
Il y avait du monde, 65, avenue de Fronton, les 14 et 16 avril pour assister à la représenation de Cellule 719. Et pourtant ! Certains de nos mécènes, rares heureusement, ayant eu vent que le sujet pouvait être difficile, nous avaient fait part de leur appréhension à s’y confronter, voire de leurs réticences.
Nous aurions aimé, dépassant leurs freins, qu’ils soient avec nous. Quelle découverte !
Les passionés connaissaient peut-être déjà Dario FO et Franca RAME. Dans leurs textes forts chaque mot, précis, pèse et frappe. Impossible de n’en encaisser ni le poids, ni le choc.
Mais la découverte, pour nous, ce fut d’abord Mélanie GAUTIER.
L’auteur de ces lignes manque de références : qu’auraient été ces deux monologues (“Moi, Ulrike, je crie !” et “C’est arrivé demain”) s’ils n’avaient été choisis, mis en scène et interprétés par Mélanie GAUTIER ?
Cette interrogation n’a de réponse que dans le pressenti. En forme d’évidence : ces textes ne se donnent pas. Ceux qui les mettent en scène doivent avoir en eux ce qu’a Mélanie GAUTIER, de même que ceux qui les jouent.
Le rideau de fer se ferme en grinçant. Une douche de lumière blanche éclaire le blanc. Il y a peu : posés à même le sol de béton, cinq ou six accessoires blancs matérialisent les reliefs d’un repas blanc parce qu’il est perpétuellement le même, indéfectiblement le même, dépourvu de ce qui est susceptible de colorer les sens : l’asepsie chromographique pour l’asepsie sensitive.
Imaginer la vie en noir et blanc nous semble plutôt facile. Mais en blanc seulement ! Que du blanc ! Toujours.
Le corps habillé de bandelettes blanches, recroquevillée face à ces objets blancs, Ulrike MEINHOF s’anime. Lentement. Dans son isolement carcéral où le blanc n’est jamais couleur au point que la nuit est bannie et le temps abrogé, elle nous fait comprendre, après nous avoir fait douter, qu’elle ne sombrera pas dans la folie. Sa révolte est intacte. Elle n’est dupe de rien.
Elle sait que sa résistance éreintera ceux qui veulent sa destruction intérieure, psychologique ; sa mort psychiatrique. Ils seront contraints à la faire basculer autrement dans le noir absolu !
Pendant vingt cinq minutes, Ulrike MEINHOF nous oblige à la regarder et à l’écouter. A un mètre d’elle nous sommes là, yeux grands ouverts, bouche bée pour quelques uns, mâchoires serrées pour d’autres, captivés, capturés, tenus. Il n’y a pas d’échappatoire. Nul n’en cherche. Embarqués.
Rien d’haletant, non ! Le sujet est grave. Le public est grave. Mais il n’est pas franchement mal à l’aise. Peut être car ses pensées, plurielles, sont parallèles : Ulrike MEINHOFF et Mélanie GAUTIER. L’une et l’autre. Pas une fusion.
Il s’impose, en même temps que le texte vient à nous, que la comédienne délivre son art : mise en scène, présence, gestuelle, diction, authenticité, justesse, force et trouble du regard, maîtrise. On a parlé “d’épure”. Epuré serait plus juste. Les questionnements, les craintes, les doutes, les remises en question de la comédienne, perçus en filigrane, ont été passés au tamis. Puis au filtre plus fin.
Ce qu’a retenu la maille serrée est “l’écueil” ; ce qu’elle a laissé passer est ce que (je) nous avons ressenti : un envahissement de nous.
Mélanie GAUTIER ne nous a pas laissé le temps de nous en libérer. Le départ d’Ulrike, deux minutes d’absence insuffisantes à nous permettre d’apprivoiser nos émotions, c’est aussi le changement de décor. Elle a emporté le blanc pour céder la place à Irmgard MÖLLER.
Une chaise, un projecteur, pantalon et pull noir. Voilà tout.
La confirmation que le noir est bien une couleur aux vertus étonnamment apaisantes. Il le fallait ! Plus qu’un jeu c’est une narration. Vingt minutes d’un récit qui devrait bouleverser car il est celui de l’exécution clandestine par des gardiens, en prison, de quatre détenus. Mais la cruauté présentée comme teintée d’amateurisme, de maladresse, ne choque pas tant que cela ! Le sang. Couleur plus familière que le blanc implacable. Le sang d’Irmgard MÖLLER gicle, coule, colle, colore sous les coups d’une lame qui prolonge un bras anonyme. La perception confuse des bruits, le témoignage auditif, ouaté et terrible de l’assassinat des autres. La conscience que la vie s’échappe et, après tout : c’est fait !
C’est à ce sentiment de délivrance, d’évasion, peut être, que nos états d’âme se sont nourris, raccrochés, pour se soustraire à l’horreur décrite.
Pourtant la vie, ce fil d’autant plus ténu que le sang ne cesse de se répandre sans idée que cela puisse s’arrêter, ne rompra pas. Irmgard raconte, elle ne mourra donc pas.
Le texte, la mise en scène : un story-board ! Invités à inventer les images, les visages, l’espace, le sonore, chacun de nous les a plaqués aux mots que Mélanie GAUTIER a dit sobrement : pas de plainte, pas de révolte, peu de gestes. Sa voix emplissante, comme son regard, relèvent d’un phénomène qui s’apparente à l’hypnose.
L’impression qui en reste est celle d’un moment heureux.
Je veux dire : remarquable.
Sidne CRINCHABOU

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