MORALOUNETTES,
J’allais comme d’habitude. Ni plus ni moins. Je longeais au guidon de mon scooter les mêmes platanes, le même bord de canal, ainsi que je le faisais depuis des années.
La douceur du printemps n’invitait pas plus qu’hier à cette impression de bonheur que flore et faune offrent à nos états d’âme dans leur cycle de renaissance annuelle.
Aucun événement ne s’était glissé depuis la veille dans ma vie personnelle et rien, dans la journée qui s’annonçait, n’était de nature à me réjouir plus que de coutume.
Je ne comprenais donc pas pourquoi, ce jour-là, je vivais une sensation différente, euphorique, unique. J’étais un sourire intérieur. Quelque chose en moi produisait une alacrité semblable au souvenir que me laissaient les ivresses de l’enfance, la fraîcheur de l’inconscience et l’insouciance de la candeur. J’allais sur mon scooter comme débarrassé d’une vieille peau, mue inattendue et magnifique.
Je ne comprenais pas mais refusais de m’interroger. Je prenais l’instant comme on déchire le papier d’un cadeau sans chercher à en deviner la nature. Je savais, intuitivement, que ce n’était qu’un moment.
Ce ne fut bien sûr qu’un moment auquel la sagacité des pandores, en faction un peu plus loin, s’est chargée de mettre un terme.
C’est en me faisant observer d’une raideur toute militaire que je ne portais pas de casque, oubli dont je n’avais pas eu conscience, que la maréchaussée me procura celle, immédiate, en un bloc d’évidences :
- Que j’avais été libre (et que je ne l’étais plus)
- Que j’en avais été heureux
- Que je n’avais pas su savoir pourquoi puisque je ne savais pas que je ne portais pas la carapace réglementaire, et que c’est cette impression nouvelle de conducteur sans gangue qui m’avait enivré
- Que la liberté, ou son sentiment, ne sont pas qu’affaire de volonté
- Qu’elle peut tenir à peu de chose
- Qu’elle est peut-être plus une impression qu’un état
- Qu’elle est éphémère
- Qu’elle a un prix (information pratique pour les incultes : ici, 90 € et trois points)
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Moralounette 1 : il est donc faux de dire que la liberté n’a pas de prix, ne serait-ce que celui du sang, dîme que nombreux ont versé, versent et verseront
Moralounette 2 : la liberté n’a toutefois de prix, toujours idiot puisqu’il peut être aussi celui du sang, que si elle nous est contestée
Moralounette 3 : c’est cette contestation qui nous procure la conscience de son existence et, par- là, celle que la liberté est vitale et, par voie de conséquence, sans prix
Moralounette 4 : ce n’est qu’à partir de là que commencent les ennuis, ce qui n’a pas de prix étant à la fois inaccessible (inaccessibilité à laquelle l’on ne se résout que dans la terreur et la soumission ) et irrationnel (il apparaît tellement normal à des milliards d’habitants de notre planète qu’un coup de crayon soit passible de la peine de mort pour son auteur, pour ceux qui l’entourent, ceux qui le protègent et tous ceux qui défendent la liberté d’expression !)
Moralounette 5 : la liberté est un sujet inépuisable, ce qui rend le propos sans valeur comme toute matière intarissable
Signé : illisible