La lettre n°65Vie de l'association

Vœux 2016

Détermination, gravité, enthousiasme, une démarche au service des valeurs de Concorde

La maison d’enfants Marie-Foilaine Desolneux de Coubron accueillait cette année encore les nombreux adhérents, amis et partenaires de Concorde. Placée sous la présidence d’honneur de Madame Sylvie Croquin, ancienne magistrat du parquet en charge du parquet des mineurs de Bobigny, cette cérémonie des vœux 2016 a porté haut et fort les valeurs de Concorde. Les interventions – dont vous trouverez ci-après de larges extraits -, empreintes de gravité, affichaient la détermination de l’association à défendre le vivre ensemble comme une réponse à la barbarie qui s’est déchainée en 2015. Les cadres, de nombreux personnels, avaient tenu à être présents pour affirmer de manière visible qu’ils faisaient front, que Concorde est bien une association d’Education et de Protection. Les nombreux invités qui se sont pressés pendant près de trois heures, ont eu l’occasion de partager leur enthousiasme tant avec les salariés, les membres du conseil d’administration, qu’avec des jeunes de différentes maisons, visiblement heureux, eux aussi, d’être là.

Ainsi, le Président Alain Junqua déclarait notamment :

« L’année 2015 se sera achevée aussi mal qu’elle avait commencé avec les évènements tragiques que nous connaissons. Les débats sociétaux qui s’ensuivent peuvent laisser le sentiment de s’éloigner parfois de la volonté d’unité et de fraternité. « C’est la fraternité qui sauvera la liberté » disait Victor Hugo. La sécurité fait partie de nos droits fondamentaux et la liberté également, espérons que nous saurons conjuguer les deux. En attendant, il faut vivre et faire vivre nos institutions. La tâche de nos éducateurs est encore plus complexe et délicate. Ils se posent des questions sur leur rôle, leur capacité à agir et à faire, sur ce qu’ils peuvent et doivent dire et ce qu’il ne faut pas dire si ce n’est avec retenue et réserve. Au cours de l’année 2015, plus de cent cinquante jeunes de vingt-huit nationalités se sont côtoyés dans nos établissements. La plupart ont vocation et aspirent à faire leur vie en France. Ce devrait être source d’enrichissement mutuel de tous et nous devons veiller à ce que cela ne devienne pas motif de perturbation et de discorde ! C’est le principal souhait, qu’en ce début d’année, je formule. Le bien vivre ensemble passera par l’éducation, l’insertion et la promotion sociale. C’est là toute notre mission associative, c’est aussi une mission citoyenne et nous entendons la poursuivre au service de tous les jeunes qui nous seront confiés. Concorde est une petite communauté au cœur de la Seine-Saint-Denis. Elle est fière de ses valeurs qu’elle veut voir perdurer, cependant elle reste fragile sans la volonté de ses personnels d’œuvrer dans la solidarité, la tolérance et le respect mutuel au service bien compris de tous les jeunes quels qu’ils soient. Et c’est bien naturellement que mes vœux d’heureuse nouvelle année leur sont d’abord adressés.

 

L’année 2015 à Concorde a été marquée par de nombreuses satisfactions, des difficultés de tous ordres, des projets, des rencontres. Les satisfactions, bien sûr, de voir des jeunes quitter notre institution au terme d’un parcours réussi, d’en voir de nombreux dont les efforts et le sérieux sont couronnés de succès dans leur scolarité ou leur apprentissage…

Des difficultés avec ceux que les graves troubles du comportement et de la personnalité et une histoire familiale faite de violences, de ruptures voire d’abandon, rendent inaptes à la vie collective et pour lesquels des solutions très individualisées sont à trouver. Au nombre des projets aboutis, je voudrais citer la reconnaissance officielle de notre dispositif d’accueil personnalisé qui bénéficie désormais de son autonomie, d’un personnel dédié et d’une direction propre. Il continuera de fonctionner en étroit partenariat avec l’association Métabole qui nous apportera son savoir-faire et son expérience en psychologie clinique. Je me dois de féliciter ceux qui depuis six ans portent ce projet à bout de bras sans jamais se décourager et en témoignant d’une énergie sans faille : Florence Mazerat, Yann Chatelin et Kader Akbal.

Autre projet : l’appartement des familles. Destiné à permettre le rapprochement de fratries et la rencontre de parents démunis avec leurs enfants, il est très souvent occupé. C’est un véritable progrès !

D’autres évoluent plus lentement comme la création d’un restaurant d’insertion ou, dans un autre ordre d’idée, la reconnaissance d’utilité publique.

Et puis, il y en a un qui va connaitre son épilogue dans le courant de l’année 2016, c’est celui de la fusion de Concorde avec l’association La Caravane de Villemomble qui accueille des enfants, garçons et filles, plus jeunes qu’à Concorde, dès l’âge de cinq ans. C’est une belle et ancienne institution et je salue la présence ici de la Présidente de l’Association, Madame Anne-Marie Dusseaux, accompagnée de son équipe de direction.

Au rang des projets à venir, il y a aussi celui de réorganiser l’accueil d’urgence de jeunes sur nos différentes structures. L’idée est de créer une « plateforme » commune où sera pris le temps d’apprécier la pertinence du placement et de préparer, dans l’affirmative, l’orientation sur l’un de nos établissements dans le calme et la sérénité, voire exceptionnellement à l’extérieur de l’association.

Je renouvelle à notre directrice générale tous mes vœux de réussite dans sa mission difficile et exaltante, je ne doute pas qu’elle les partagera avec tous ceux qui concourent au bon fonctionnement de l’association et à sa renommée.

Un merci tout particulier à la Maison Marie-Foilaine Desolneux qui nous accueille aujourd’hui, à sa directrice et à l’ensemble de ses salariés ainsi qu’aux ouvriers d’entretien et aux jeunes qui ont contribué à l’organisation de cette journée. Bien sûr, un grand merci à tous nos cuisiniers qui, ensemble, ont réussi le défi de confectionner un cocktail pour plus de deux cents personnes.

Je voudrais saluer la présence de Madame la Directrice Territoriale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse de Seine-Saint-Denis, qui vient d’être promue Sous-préfète de Château Chinon.

Sylvie Croquin, chère collègue et amie, soyez chaleureusement remerciée d’avoir accepté de présider notre cérémonie. Nous nous sommes connus au Tribunal de Grande Instance de Bobigny en 1988, j’y arrivais comme président du Tribunal pour Enfants, vous étiez alors magistrat du parquet en charge du parquet des mineurs. Nous avons, dès lors, travaillé ensemble dans des fonctions certes différentes mais nécessairement complémentaires. Votre engagement personnel, votre capacité à appréhender au mieux les problématiques des jeunes, votre ouverture d’esprit ne pouvaient être qu’autant de gages de votre réussite dans ce service si particulier. Toujours très active, vous ne vous êtes jamais éloignée du monde judiciaire que vous continuez à servir.

Merci donc, Chère Madame, et d’ici quelques instants nous aurons le plaisir de vous écouter.

Pour Florence Mazerat, Directrice générale, l’année 2015 a été éprouvante mais, à aucun moment, nous n’avons baissé les bras, bien au contraire.

Nelson Mandela disait : « l’éducation est une arme puissante pour faire évoluer les mentalités et transcender les différences et participe à créer une société plus juste et fraternelle ». Aussi, nous avons osé, construit, sans jamais renoncer.

Cela fait maintenant 3 ans que j’ai pris mes fonctions de directrice générale. C’est une période suffisante pour vérifier que j’ai la chance inouïe d’être très bien entourée, avec des équipes très investies.

Le METADAP, notre dispositif d’accueil pour les jeunes en très grandes difficultés, a été retenu pour 25 places ; j’adresse tous mes vœux de réussite à Toufik Oukaci, Directeur et à Jacques Jouana, Coordinateur.

Je souhaite également une bonne prise de fonction à Monsieur Djamel Dali Ahmed, nommé Chef de service éducatif de la maison Aristide Briand.

2015 a été marquée par le nombre exponentiel de demandes d’accueil en urgence. Nous avons proposé au Conseil Départemental la création d’un Service d’Accueil d’Urgence de 6 places afin de permettre un accueil dans de bonnes conditions sur les maisons d’enfants et autres dispositifs d’accompagnement. Nous sommes en phase de négociations pour officialiser ce service et établir un prix de journée dédié.

Toutes les conditions semblent réunies pour finaliser avant la fin de l’année la fusion-absorption de l’association « La Caravane ». Pour un autre projet qui me tient à cœur, celui du restaurant pédagogique, nous sommes en lien avec la mairie de Montfermeil. Espérons qu’il pourra voir le jour fin 2016.

Les vœux sont l’occasion d’avoir le plaisir d’adresser des remerciements :

– aux équipes éducatives qui œuvrent chaque jour auprès des jeunes, sans relâche avec ténacité et bienveillance ;

– aux services administratifs qui, avec une énergie constante, nous supportent au quotidien tout en assumant leur tâche avec un grand professionnalisme ;

– aux services généraux et techniciens de maintenance qui œuvrent sans relâche auprès des établissements ;

– à l’équipe de cuisiniers qui, tous les ans, se mobilise et se surpasse et qui, à nouveau, vous surprendra aujourd’hui ;

– à mes proches collaborateurs, Yann Chatelin et Sandrine Baillergeant, à toute mon équipe de cadres, pour qui l’année a été particulièrement éprouvante et dense.

Merci au Président et au Conseil d’administration, aux adhérents qui suivent avec la plus grande attention le rythme soutenu de notre belle association.

Merci aux collègues, partenaires, amis. Chaque année par votre présence, vous témoignez de votre fidélité.

Je voudrais adresser toutes mes sincères félicitations à Madame Higinnen, Directrice territoriale de la PJJ, pour sa nomination en qualité de Sous-Préfète à Château Chinon. Nous vous adressons tous nos vœux de réussite. Vous manquerez à notre département. Enfin, je souhaite à chacun d’entre vous le meilleur pour 2016, plus convaincue que jamais que notre force de conviction, notre énergie et nos valeurs partagées sont autant d’atouts pour garantir le droit des enfants et des jeunes dont nous nous occupons, qui nous occupent et nous préoccupent.

 

Intervention de Madame Sylvie Croquin

Nous sommes en 1791. La France se dote de nouvelles institutions dont le fonctionnement est organisé dans la Constitution qui sera adoptée le 13 septembre 1791 et s’oriente vers un régime de monarchie constitutionnelle. Dans ce climat d’intense activité des constituants, l’assemblée va voter entre le 25 septembre et le 10 octobre 1791 le premier Code Criminel. Il est important de constater que le titre V est consacré à l’influence de l’âge des condamnés sur la nature et la durée des peines ; que les 4 premiers articles du titre sont en réalité consacrés aux mineurs et qu’il s’agit de la première fois. En effet le texte clarifie la détermination de la minorité pénale qui est fixée à 16 ans ainsi que la notion de discernement ; il offre la possibilité au juge de prononcer des peines atténuées. Dans son article 1er. il est prévu de poser la question suivante : « le coupable a-t-il commis le crime avec discernement ? » Si la réponse est non (article 2), le mineur est acquitté ; il peut aussi être remis à ses parents ou placé dans une maison de correction. Si la réponse est oui (article 3), la peine de mort est commuée en 20 ans de détention dans une maison de correction ; les autres peines peuvent également être atténuées. L’évolution du droit des mineurs ne cessera plus ; en 1814 on construit des prisons d’amendement ; en 1906 la majorité pénale est définitivement fixée à 18 ans. Le 12 juillet 1912, le principe de l’irresponsabilité pénale du mineur de 13 ans va être mis en place ; les mineurs de 13 à 18 ans seront jugés par une formation spéciale à l’origine du tribunal pour enfants ; des enquêtes sociales et familiales pourront être ordonnées ; des mesures de liberté surveillée pourront accompagner le mineur et l’aider jusqu’à sa majorité fixée à l’époque à 21 ans. L’ordonnance du 2 février 1945 constitue le fondement du droit applicable aux mineurs ; nous en connaissons tous les grands principes et, 70 ans après, demeure sa vocation à faire bénéficier le mineur de mesures essentiellement éducatives et destinées à l’ouvrir sur un vrai projet de vie ; cette orientation reste sa marque et sa profonde originalité à l’époque. Elle fait du juge des enfants le juge d’instruction, le juge de jugement, le juge du suivi éducatif ; il préside le tribunal pour enfants ; il devient pour le mineur et nous l’avons tous vécu sa quasi propriété ; il est « son » juge. L’ordonnance de 45 figure au Code pénal ; elle régit l’enfance dite délinquante et le traitement qui doit lui être réservé. L’ordonnance du 23 décembre 1958 régit l’enfance en danger sous tous les aspects qu’elle peut revêtir sachant qu’un même mineur peut souvent relever de deux situations : être délinquant et en danger et que le juge des enfants sera celui qui prendra les mesures éducatives et les mesures de protection. D’autres mesures sont annoncées face aux changements profonds qui se manifestent chez nos plus jeunes et qui légitimement préoccupent tous les professionnels. Les deux principes fondamentaux doivent toujours guider les décisions à prendre : mesures éducatives pour le mineur délinquant ; mesures de protection pour le mineur en danger. La Convention des droits de l’enfant du 20 novembre 1959 a fait de la recherche de l’intérêt supérieur de l’enfant une priorité absolue y compris dans les conflits familiaux parfois douloureux ou dans des instances civiles posant des questions d’éthique et de principe de société. A mon arrivée à Bobigny, le procureur de l’époque m’affectait au Parquet des Mineurs ; j’y suis restée plusieurs années, j’en ai assuré la direction. J’ai donc eu largement la possibilité d’estimer l’importance du rôle de ce Parquet qui était le premier de France tout en souffrant de difficultés liées au particularisme du département, à celles des familles et à nos propres insuffisances de moyens. C’est bien dans la difficulté que précisément se révèlent les talents, les dévouements, les engagements, la pugnacité ; j’ai alors fait la connaissance des Foyers Concorde et je n’ai jamais cessé d’expliquer, chaque fois que j’en avais l’occasion, l’apport de leur contribution, leur richesse dans l’aide à l’accueil des mineurs et à leur accompagnement. Les foyers Concorde savent mettre en œuvre la chaleur dans l’accueil de tous, le dialogue, les projets mais aussi les exigences et la fermeté. Les foyers Concorde, ce sont des équipes soudées et enthousiastes qui jamais ne renoncent à leurs objectifs ; ce sont des éducateurs avec leur personnalité riche d’une expérience et forts de leur engagement ; ce sont également les relations avec les communes et la recherche de vrais partenariats ; ce sont des personnalités qui ont marqué leur implantation ; ce sont des dirigeants qui poursuivent leur action, Mme Mazerat qui a repris avec succès une tâche difficile et tous les autres. Aujourd’hui, je me suis sentie honorée de pouvoir assurer la présidence de cette journée placée sous le signe de la convivialité et du partage. Il n’est pas possible, en ce début d’année, de ne pas avoir à l’esprit les terribles événements que la France a connus et qui, pour les premiers, avaient déjà marqué le début de l’année passée ; ils nous touchent d’autant plus que certains jeunes se trouvent irrésistiblement attirés par ce piège mortel d’adhésion à une idéologie mortifère. Je dois aussi avouer que rien n’arrive à me détacher dans l’immédiat de la justice ; présidence de commissions d’aide juridictionnelle à Nanterre et Bobigny ; CIVI (Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions) à Bobigny ; présidence d’audience du tribunal des Affaires de Sécurité Sociale à Nanterre ; actions de formation à l’ENM Paris (Ecole Nationale de la Magistrature) des juges de proximité ; j’ai la chance d’aimer ce que je peux encore faire et de maintenir les liens avec tous les anciens et surtout ceux de Bobigny. C’est donc avec cette conclusion positive que je vous présente à tous des vœux de réussite, de santé, d’épanouissement et pour les foyers Concorde, une belle 47ème année de développement de leurs activités notamment dans la mise en place de nouveaux types d’accueil.