UN SEJOUR DE RUPTURE A M’BOUR, AU SENEGAL
Extrait du rapport de Camille Carrère – éducatrice spécialisée à Marie-Foilaine Desolneux – sur un séjour de rupture à M’Bour Sénégal, du 18 mai au 11 juin 2015.
Un jeune de Concorde étant concerné, pendant près de 3 semaines, j’ai eu la chance de découvrir le projet de séjour de rupture à M’Bour au Sénégal, au sein de l’association « Vivre ensemble Madeshael ». Durant mon séjour, j’ai vécu en totale immersion auprès de jeunes en souffrance et des équipes sénégalaises. L’une des valeurs principales transmises dès leur arrivée au Sénégal est « le vivre ensemble », en communauté, dans le respect des uns et des autres. Le Séjour de rupture est destiné à revaloriser et redynamiser de jeunes français en grande difficulté en les immergeant dans la vie africaine et ses réalités. Ils sont dans un cadre de vie dépaysant, éloignés de leur environnement habituel, ce qui leur permet de faire le point, de reprendre confiance en eux. Bien encadrés, ils peuvent prendre de la distance avec certaines de leurs habitudes, ce qui les amènera à modifier leurs choix d’avenir. L’éducateur accompagne le jeune dans sa réflexion, en lien avec le projet personnel qu’il devra mettre en place. Il l’aide à se revaloriser grâce à des activités et des missions humanitaires ainsi que des discussions (en Afrique, la parole et l’échange sont très importants pour avancer). Le cadre est strict et le jeune devra prendre ses responsabilités face aux éventuels manquements au règlement. S’il déroge, il devra s’expliquer devant toute l’équipe afin de comprendre ce qui s’est passé. Une sanction sera mise en place par l’équipe en fonction de la faute commise. Les réponses éducatives dites « sanctions positives et négatives » sont essentielles à l’équilibre du jeune et de la communauté. Le professionnel accompagne le jeune dans chacune des sanctions afin de le faire réfléchir et de prendre du recul. Le respect de soi et des autres s’installe peu à peu, dès lors qu’il comprend qu’il a des droits mais aussi des devoirs. Accueilli sans le moindre jugement ou rejet, il sera accompagné tout au long du séjour par des éducateurs bienveillants. Il va vivre au rythme de l’Afrique, apprivoiser le silence. Cette expérience extraordinaire permet, la plupart du temps, de repartir fier de la force trouvée en soi pour passer ce cap. Le jeune loge dans une case ronde et individuelle de 12 à 16 m2, avec sol carrelé, eau courante, toilette et douche individuelle. L’ameublement simple comprend un lit, des étagères, un bureau et une chaise, un tapis de sol, des ustensiles de ménage et un bac à linge. Draps, couvertures, serviettes de toilette et moustiquaire sont fournis à l’arrivée. Le poulailler et le potager, outre qu’ils ouvrent aux métiers d’aviculteur et de maraîcher, intègrent les jeunes, les responsabilisent et permettront à l’association d’avoir un peu d’autonomie alimentaire. La vie des jeunes est rythmée par un réveil à 7h et un coucher à 22h du lundi au jeudi. Le vendredi, samedi et dimanche, ils planifient eux-mêmes les activités lors d’une réunion. Les matinées sont dévolues aux divers RDV (pédo-psy, RDV téléphoniques avec la France…) et à la participation aux chantiers humanitaires qui sont la principale activité à l’extérieur du camp avec les sorties du week-end. Les jeunes sont confrontés à des situations de grand dénuement et ils vont participer par leur travail à améliorer un tant soit peu ces conditions de vie, ce qui les conduit à une relativisation qui participe autant à leur remise en question qu’à leur investissement. Par ailleurs, ces chantiers leur permettent de « faire avec » les moniteurs. Ils les aident à évacuer, de façon positive, l’énergie qui, avant le séjour, partait plutôt dans la violence (verbale ou physique), l’hyperactivité ou la destruction de soi. Ils mesurent leur capacité de travail, leur endurance, leur efficacité. Ils apprennent des gestes et des techniques. Certains vont s’appuyer sur cette expérience pour trouver leur orientation professionnelle future. Dans tous les cas et quel que soit le plaisir éprouvé au travail, les jeunes sortent tous très fiers de leurs réalisations. Elles les aident à prendre confiance en eux et à se sentir utiles. Cette implication, malgré leurs plaintes, est très positive. Après déjeuner, sieste obligatoire et reprise des activités à 15h. Chaque après-midi, les cours de renforcement de maths, français et anglais visent à les réconcilier un peu avec l’école, à reprendre, dans un cadre privilégié, des bases mal assimilées. La pouponnière est un lieu d’accueil temporaire du tout petit enfant privé de sa maman. Elle permet aux orphelins et aux enfants dont la famille ne peut pas s’occuper, de vivre dans un milieu protégé la première année de leur vie où leur existence est si fragile. Elle apporte une aide concrète aux populations locales. La pouponnière, qui accueille près de 150 enfants, est un support important pour nous. Chaque jeune la côtoie au quotidien parce que ses locaux sont voisins mais aussi par le biais d’un stage obligatoire en fin de séjour. Le jeune y est accompagné par un moniteur chaque matinée pendant au moins un mois. S’il le souhaite et si cela ne présente pas de risques particuliers, son stage de fin de séjour peut se dérouler intégralement à la pouponnière. Ce lieu les confronte à leurs propres souvenirs d’enfance. Parfois, c’est là que le jeune prend conscience qu’il vivait de bonnes choses en famille. C’est souvent la possibilité de parler de sa vie familiale, de ce qu’il en a rêvé, de ce qu’elle aurait pu être… C’est aussi l’occasion pour certains d’apprendre à avoir moins peur du jour où eux-mêmes deviendront parents et de se rendre compte qu’ils sont capables de donner de l’attention, de la douceur et de l’amour. L’Afrique, c’est la pauvreté pour beaucoup de gens mais c’est aussi l’esprit de la fête et de la danse. Alors, les fêtes de famille, les départs et les anniversaires des jeunes, les initiatives des organisations de quartiers sont autant d’occasions de danser au son des tam-tams. Les jeunes méritants peuvent partir en week-end, répondant aux invitations de leurs moniteurs préférés !!! Ils découvrent alors la vie en famille et s’y adaptent le temps de créer des liens et des souvenirs. Chacun a droit à une seconde chance. L’ouverture sur le monde est très enrichissante et mon séjour à M’Bour m’a confortée dans cette conviction. Le séjour de rupture donne raison à ce proverbe africain : « L’homme est un remède pour l’homme ».
Camille Carrère – éducatrice spécialisée à Marie-Foilaine Desolneux