Ce qui a changé : évaluer à distance

Avez-vous eu l’impression d’évaluer de façon différente pendant cette période de confinement  ?

Différentes conceptions de l’évaluation

Pour les enseignants de langues la question de l’évaluation ne s’est pas posée dans les mêmes termes que pour les enseignants d’autres disciplines, en particulier les disciplines scientifiques. En effet, très souvent en langues il ne s’agit pas d’évaluer des connaissances,  mais des compétences de compréhension et d’expression écrite et orale mises en œuvre dans des projets individuels ou de groupe.  Productions écrites, productions multimédia, portfolios, journaux de bord ont été couramment utilisés pendant cette période de confinement .

On a retrouvé les pratiques du présentiel,  certains enseignants privilégiant une évaluation formative pour étayer les processus d’apprentissage, d’autres se focalisant sur des évaluations sommatives avec un travail final ou avec des quiz.

Dans tous les cas, la période a obligé chacun à se poser des questions fondamentales et à établir des critères explicites d’évaluation.

Je me pose beaucoup de questions sur l’évaluation de la partie orale, sur la partie écrite (rédaction, exercices divers) je me suis donnée plus de règles et de critères qu’avant.

Les modes d’évaluation choisis par les enseignants ou imposés par les institutions ont donc été fortement interrogés à cette occasion. Selon que l’on privilégiait l’évaluation formative ou l’évaluation sommative, les constats ne sont pas les mêmes.

“Pas de changement. Les grilles d’évaluation (ou d’observation) que j’utilise sont les mêmes à distance ou en présentiel.”

“Beaucoup, il a fallu repenser ma façon d’évaluer et l’adapter (privilégier l’évaluation par projet, l’auto-évaluation, l’évaluation par les pairs )”

Évaluer c’est aussi rassurer

Ainsi a-t-on beaucoup insisté sur la dimension structurante et affective de l’évaluation : La bienveillance, le refus de sévérité sont souvent invoqués. 

“On est obligé d’être plus indulgents dans certains cas (impossibilité de faire tout le travail demandé faute de connexion ou de conditions de travail difficiles) et plus durs dans d’autres quand on pense qu’ils se sont fait aider (traduction sur Google, etc…)”

Cependant certains enseignants déplorent une perte de maîtrise sur la classe et appréhendent avec méfiance les outils en ligne.

Je ressens un besoin d’être plus stricte, car notre visualisation et notre confiance dans l’être humain sont dégradées par l’usage des technologies nouvelles.”

C’est tout l’édifice construit par des habitudes pédagogiques qui s’est trouvé ébranlé, et la faiblesse du système de notation plus ou moins arbitraire est apparue à bon nombre d’enseignants. Ainsi des questions essentielles en didactique des langues font-elle ici retour.

“Quelles compétences évaluer sans le corps ? “

Changement car manque le paraverbal ( gestes, déplacement de l’élève, regard, posture…) bref, la communication non verbale, très importante en langue.”

Pourtant, sans le corps, bon nombre de certifications en langues sont plébiscitées par les écoles, faut-il le rappeler, et une grande partie des formations linguistiques appelle à développer et à évaluer des compétences plus cognitives, qui engagent très peu la gestuelle, ce qu’on appelle l’interaction interculturelle, l’empathie ou la présence personnelle globale.

Pourquoi cet élément, au cœur de l’échange dans une langue étrangère, se manifeste-t-il justement lorsqu’il manque ?  Et surtout, pourquoi des outils comme la visioconférence en sont-ils rendus responsables ? Ne serait-ce pas le manque d’expérience qui crée des limitations sur les potentialités des outils ?  Bon nombre de joueurs vidéos en ligne sont parfaitement capables de “communiquer” avec une qualité de présence intense, de sentir les partenaires, d’anticiper sur les comportements dans un groupe.

Rien n’a changé, si ce n’est que la compétence “CONVERSER”, qui exige de l’interaction à plusieurs, ne peut pas être évaluée dans les conditions actuelles.”

Avec un peu plus de temps et de formation, il est sans doute possible d’évaluer toutes les compétences avec autant de “fiabilité” qu’en présentiel. Les compétences d’interaction sont-elles si difficiles à dégager lors d’une séance de visio ? Si les échanges se passent entre pairs et si l’enseignant est dans une posture de spectateur, d’accompagnateur,  il n’est pas interdit de le penser.

Penser autrement le “naturel” et le médiatisé

L’ambiance de la classe est un milieu auquel chacun tient, qui est associé au naturel, à la spontanéité et à la confiance alors que tout ce qui intercède- outils, écrans, écrits échangés- dégrade, affaiblit les relations humaines.  C’est un postulat admis de tous qui peut être nuancé.

Tous les capteurs sensoriels qu’un enseignant développe dans sa classe pour deviner les attentes, anticiper les difficultés, pousser les énergies paraissent très impuissants à saisir ce qui se passe derrière les écrans mais n’’est-ce pas faute d’expérience ? Peut-on développer une attention à l’autre  qui se passe du corps ? C’est tout un champ de recherche et de réflexion didactique qui demande à être exploré.

Technologie et distance = triche ?

Les outils de traduction, le recours à internet font partie de ces outils qui faussent l’évaluation pour certains enseignants. Les dangers de triche, de plagiat sont souvent évoqués et questionnent la façon dont les enseignants de langues évaluent leurs étudiants.

“Reste la tentation pour beaucoup d’étudiants du recours aux outils (dictionnaire/traducteur) qui biaisent largement l’évaluation, une vraie question qui demande à repenser les modalités d’évaluation.”

“J’évalue une partie en direct pour l’oral et beaucoup de correction écrite sans savoir si c’est leur propre travail”.

Peut-être en effet faut-il renoncer à ces modes d’évaluation qui enferment les apprenants dans une logique de connaissances, grammaticales ou lexicales à “recracher”, alors qu’il est possible, surtout en cours de langue, de demander une expression singulière à l’écrit ou à l’oral à l’aide de tous types de “secours” en ligne… N’évalue-t-on pas une compétence de compréhension ou d’expression écrite ou orale “ en situation” , c’est à dire dans un contexte où chacun dans sa vie quotidienne peut faire appel avec son smartphone à toutes sortes de prothèses qui l’aident à simplement comprendre et à exprimer le plus finement possible ce qu’il veut dire ?

Vaste question sur laquelle nous reviendrons probablement pour des ateliers !