Hommage à notre collègue Didier Bottineau

Lettre de Jörg Eschenauer, Président de l’Uplegess

Chères/Chers collègues,

C’est avec une immense tristesse que je vous fais part du décès de notre collègue Didier Bottineau. Il a succombé en seulement quelques semaines à un cancer foudroyant.

Didier a été pendant plusieurs années membre de notre CA en tant que président du conseil scientifique. Chercheur au CNRS, linguiste, angliciste, maîtrisant plusieurs langues, il défendait aussi avec ferveur la cause des langues régionales.

Tous ceux qui ont participé au congrès de 2016 à l’ESTP de Cachan se souviennent certainement du concert du groupe de Roy Eales organisé par Didier. Infatigable penseur de l’énaction et des processus de l’autopoïèse, il considérait toujours chaque prise de parole comme un engagement social.

Passeur entre tous les milieux de l’enseignement supérieur, enseignant de langue dans les Grandes écoles, il était ancré principalement au CNRS et au laboratoire ICAR menant des recherches dans ses domaines de spécialité.

Orateur hors pair, il savait, sans arrogance aucune et avec beaucoup d’humour, communiquer avec les collègues de tous ces différents milieux. Les dernières années, il s’est engagé au sein de l’IMT DIDALANG et a ainsi poursuivi ses activités en faveur d’un enseignement énactif des langues-cultures en coopération avec l’Uplegess. Le livre sur le plurilinguisme, dans lequel un article de Didier est publié, sortira prochainement à l’occasion des 50 ans de notre association. Ce livre lui sera dédié. 

J.E.

Une enveloppe est proposée en ligne, afin d’aider sa compagne Birgit dans cette épreuve. Voici le lien pour y participer (date limite le 9 octobre).

Les collègues de l’ENS ont mis en place une cagnotte qui sera utilisée pour quelque chose qui lui tenait réellement à cœur : un don à une association de défense et de protection de l’environnement. 

Si vous souhaitez adresser un message à Birgit et à la famille de Didier, je me propose de le leur transmettre.

Us et abus d’un concept à la mode : l’innovation en éducation de Jörg Eschenauer

 

Lettre@mon fils de Jörg Eschenauer (à télécharger), partagée lors du dernier congrès à l’ESTACA, une lecture grave, essentielle devant un public inspiré, ému. 

 

Devenir (en) enseignant “L’innovation en éducation : us et abus d’un concept à la mode – Bilan de 50 ans de travail d’enseignant” Congrès de l’UPLEGESS 15 juin 2023 ESTACA

Mon cher Clemens, 

(…)

Tu veux donc choisir et apprendre le métier d’enseignant. 

(…)

Il faut de toute façon beaucoup de courage pour devenir enseignant. Jaurès l’avait dit d’une façon remarquable :

“Le courage, c’est d’être tout ensemble, un praticien et un philosophe (…) le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ; c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond ni s’il réserve une récompense”

(…)

 

Quelle éthique pour l’ingénieur ?

Jörg Eschenauer : Présentation du livre de  Laure FLANDRIN et Fanny VERRAX

Quelle éthique pour l’ingénieur ?, Editions Charles Léopold Mayer, Paris 2019

Publié en partenariat avec Ingénieurs sans frontières, Ecole Centrale de Lyon, Sciences Citoyennes et UPLEGESS

Les Editions Léopold Charles Mayer viennent de publier un livre qui deviendra certainement très rapidement une référence incontournable pour le domaine de la formation des ingénieurs et des managers. Il s’agit du livre « Quelle éthique pour l’ingénieur ? » de Laure Flandrin et de Fanny Verrax, enseignantes-chercheuses en SHS et en philosophie. Partageant avec certains de leurs élèves de l’INSA de Lyon et de l’École Centrale de Lyon « l’intuition que le monde a moins besoin d’être techniquement réparé que politiquement transformé » (page 7),  les deux auteures s’attachent à « redéfinir l’éthique au-delà de l’anthropologie néolibérale » en considérant « l’ingénierie comme une profession-frontière » (page 8). Le livre est divisé en trois parties : 1) « Une éthique intégrée à l’entreprise », 2) « L’ouverture de l’éthique de l’ingénieur aux enjeux sociotechniques » et 3) « L’extension de l’éthique de l’ingénieur aux enjeux environnementaux ». Ainsi est brossé dans ce livre remarquable et très pédagogique un tableau complet des défis auxquels l’ingénieur est aujourd’hui inévitablement confronté.

Définissant l’ingénieur en tant que « partie prenante de la démocratie technique » (pages 149 – 170) L. Flandrin et F. Verrax lui attribuent un rôle central dans la « transition écologique »  en le mettant sur une trajectoire de « dépassement des limites de l’ingénierie par la démocratie écologique » (pages 225 – 240). La particularité spécifique de l’action de l’ingénieur est ainsi clairement identifiée : elle se situe au carrefour de « l’entreprise, de la société et de la nature ». La tâche éthique proactive de l’ingénieur face à cet entrecroisement de trois sphères complexes est de toute évidence « difficile et même paradoxale » puisque elle doit en permanence prendre en compte « l’irréversibilité des choix techniques ».

Inutile de souligner que cet ouvrage représente aussi une ressource extrêmement riche pour nos cours de langue, et pas seulement de Français Langue Etrangère mais pour tous les cours thématiques et séminaires en quelque langue que ce soit. Faire résonner (‘raisonner’) les concepts éthiques entre les langues permet de sentir et d’expérimenter les différences sémantiques et ainsi de mieux comprendre in fine les écarts de sens que nous offrent de telles analyses plurilingues.

Le livre se termine avec une conclusion courageuse. Les auteures osent attribuer à l’ingénieur le rôle « vertueux en gardien du pluralisme » (pages 257 – 262). Vision irréalisable voir irréaliste diront les uns, postulat urgent car nécessaire diront les autres. C’est l’avenir de l’humanité qui jugera lequel des deux avis était mieux adapté aux défis sociétaux de notre modernité tardive.

Jörg Eschenauer

 

Les recommandations de la conférence de consensus CNESCO

Les recommandations de la conférence de consensus du CNESCO qui s’est tenue les 13 et 14 mars 2019 sont arrivées !

Cet article du site theconversation.com pointe le problème lancinant en France : Langues étrangères : les résultats décevants des élèves français. 

Parmi ces 10 recommandations la dixième nous interpelle.

1. Travailler sur l’oral de manière progressive, de la maternelle jusqu’au lycée
2. Guider les élèves vers l’autonomie, en s’appuyant notamment sur les outils numériques
3. Créer des ponts entre les différentes langues et cultures
4. Évaluation : reconnaître un « droit à l’erreur » et mieux cibler les compétences réelles des élèves
5. Proposer des cours de langues d’une durée plus courte mais plus régulièrement
6. Amplifier, sur le temps scolaire, l’exposition aux langues étrangères
7. Favoriser la mobilité internationale de tous les élèves et des enseignants
8. Redonner une place à l’enseignement explicite des langues
9. Construire un « programme lexical » national
10. Repenser le recrutement et la formation des enseignants en langues

“La formation doit s’appuyer davantage sur le vécu des enseignants pour les amener à déconstruire leurs croyances autour de la langue qu’ils auront à enseigner et pour favoriser une pratique réflexive. La formation doit également être reliée de façon plus systématique aux résultats de la recherche. Cette double approche devrait notamment permettre de faire évoluer la posture des enseignants sur la place et le traitement de l’erreur en cours de langues.”

Notons que les besoins de formation mis en évidence par les enseignants de langues portent sur leurs compétences dans le domaine du numérique et ce, plus que leurs collègues d’autres disciplines.

Parmi les interventions très riches de cette conférence, citons celle d’Emmanuelle Huver sur l’évaluation.

La rapport scientifique de Christian Ollivier Enseigner pour aider à apprendre les langues pointe bien la difficulté de changer les postures enseignantes avec des préconisations trop éloignées de leurs croyances et pratiques personnelles. Ne dit-on pas qu’il faut prendre les étudiants là où ils sont pour tenter de les amener là où on veut ? Alors, ne devrait-on pas faire de même avec les enseignants ?

Martine Ravetto-Dubreucq

Le vieux tromblon vous parle-t-il encore ?

“Le CECRL sonne un peu comme un vieux tromblon porté par les politiques inquiets pour l’Europe” : la formule choc de Dominique Macaire dans son article Le CECRL : quelle puissance du modèle ? Questionnements dans la recherche en didactique des langues-cultures pousse à peine le curseur des nombreuses voix qui s’élèvent aujourd’hui contre le Cadre Européen commun de référence. Jadis incontournable, clé de tous les référentiels de compétences et de toutes les évaluations après les années 2000, c’est un monument qui s’effrite, se fissure.

La tribune signée par de nombreuses associations et des chercheurs sur le site de l’ASDIFLE « Le projet d’amplification du CECR : une fausse bonne initiative du Conseil de l’Europe » s’élève contre la nature prescriptive et normative du Cadre et s’emporte contre la multiplication des grilles.

En 20 ans le monde a changé mais comme  le dit encore Dominique Macaire : “nos cœurs de croyance reposent sur des noyaux durs et font preuve de résistance au changement”.

Et vous, que faites-vous de ce vieil instrument dans vos Grandes Écoles ?

Références :

HUVER, Emmanuelle. 2017. « Peut-on (encore) penser à partir du CECRL ? Perspectives critiques sur la version amplifiée », in Carette Emmanuelle : Eclectisme en didactique des langues : Hommage à Francis Carton, Mélanges Crapel, 38/1, pp. 27-42 En ligne : http://www.atilf.fr/spip.php?rubrique650
Martine Ravetto-Dubreucq

Enseigner demain ou un nouveau défi d’alphabétisation

Ces jours-ci, nous accueillons comme chaque année nos nouvelles promotions d’étudiants qui arrivent dans nos salles de classe avec leurs espoirs et leurs craintes, leur enthousiasme et leur questionnement. Comment sont-ils ? Ont-ils encore changé ? Peut-on toujours parler de ‘digital natives’ ou ont-ils déjà muté en autre chose ? Comme l’accélération permanente est le signet de notre époque, les étiquettes se remplacent à une vitesse vertigineuse, ou pour le dire autrement, un signifiant en chasse un autre avant même que nous ayons eu le temps de trouver les signifiés qui y correspondent. Il était question de génération X (1960 – 1980) et Y (1980 – 2000) avant que la génération Z (2000 – ?) nous confronte avec ses priorités faciles à identifier, nous dit-on. « Multi-identitaires, débrouillards, connectés » mais avec un penchant certain pour la « dispersion », les Z jugent leurs réseaux plus importants que leurs études. 70% souhaitent travailler à l’international et 50% de leur génération préfèrent créer leur propre entreprise au lieu de s’exposer au monde professionnel classique avec ses entreprises et institutions jugées bien trop « dures et compliquées » (selon les résultats d’une étude réalisée pour une grande banque).

Mais ne nous trouvons-nous pas déjà en face d’une nouvelle génération non encore identifiée ? L’année 2000 est si lointaine qu’une mutation doit certainement avoir eu lieu. Mais comment les nommer, les représentants de cette nouvelle génération, alors que nous sommes arrivés au bout de notre alphabet ?  Spontanément je me dis qu’il faut donc recommencer avec la première lettre d’un autre alphabet, grec par exemple, donc avec la lettre alpha (α … qui n’a rien à voir avec le terme ‘mâle alpha’, bien évidemment). D’abord fier de mon idée j’ai dû constater ensuite que je suis arrivé trop tard avec ma belle invention. En 2017, un sociologue australien du nom de Mark McCrindle a eu la même idée avant moi. Pour lui, les α arrivent aujourd’hui tout juste à l’école (Quelle chance ! Nous aurons le temps pour nous y préparer !). Il est encore difficile à « prédire leur comportement mais on a quelques indices ». Contrairement aux vieux Z, les futurs α ne sont pas seulement nés « avec mais DANS le numérique ». « 75% des enfants de 2 ans ont déjà testé des jeux vidéo ou des applis sur un smartphone. »  Les α seront simplement « connectés à tout ». Leur nouvelle poupée Barbie est déjà équipée d’une « intelligence artificielle capable de dialoguer » (informations diffusées sur le site de France Inter). Les α auront donc appris à dialoguer grâce à leur poupée Barbie ! Voilà une nouvelle très rassurante pour nous, les enseignants. Nos futurs étudiants sauront parler avec nous grâce à une formation au dialogue très poussée !

Quel sera alors encore notre rôle à nous ? Nous aurons peut-être juste à les encourager à penser, c’est-à-dire à penser lentement. Comme les α seront connectés à tout, ils pratiqueront leur ‘Fast Thought’  comme on consomme le ‘Fast Food’! Comme pour l’appareil digestif, les effets néfastes de ce type de nourriture seront inévitables pour le cerveau !  Apprenons leur donc la LENTEUR. Pratiquons avec eux la lecture lente, la réflexion lente, la contemplation lente afin qu’ils comprennent qu’il y a des expériences merveilleuses réservées aux êtres humains qui nécessitent du temps, d’un temps très long même. «Let us say: Only slow food for really strong thought! » La lecture de Proust ne pourra jamais se faire en quelques clics. Mettons-nous avec eux à la recherche du temps … advenant !

Jörg Eschenauer