Ces jours-ci, nous accueillons comme chaque année nos nouvelles promotions d’étudiants qui arrivent dans nos salles de classe avec leurs espoirs et leurs craintes, leur enthousiasme et leur questionnement. Comment sont-ils ? Ont-ils encore changé ? Peut-on toujours parler de ‘digital natives’ ou ont-ils déjà muté en autre chose ? Comme l’accélération permanente est le signet de notre époque, les étiquettes se remplacent à une vitesse vertigineuse, ou pour le dire autrement, un signifiant en chasse un autre avant même que nous ayons eu le temps de trouver les signifiés qui y correspondent. Il était question de génération X (1960 – 1980) et Y (1980 – 2000) avant que la génération Z (2000 – ?) nous confronte avec ses priorités faciles à identifier, nous dit-on. « Multi-identitaires, débrouillards, connectés » mais avec un penchant certain pour la « dispersion », les Z jugent leurs réseaux plus importants que leurs études. 70% souhaitent travailler à l’international et 50% de leur génération préfèrent créer leur propre entreprise au lieu de s’exposer au monde professionnel classique avec ses entreprises et institutions jugées bien trop « dures et compliquées » (selon les résultats d’une étude réalisée pour une grande banque).
Mais ne nous trouvons-nous pas déjà en face d’une nouvelle génération non encore identifiée ? L’année 2000 est si lointaine qu’une mutation doit certainement avoir eu lieu. Mais comment les nommer, les représentants de cette nouvelle génération, alors que nous sommes arrivés au bout de notre alphabet ? Spontanément je me dis qu’il faut donc recommencer avec la première lettre d’un autre alphabet, grec par exemple, donc avec la lettre alpha (α … qui n’a rien à voir avec le terme ‘mâle alpha’, bien évidemment). D’abord fier de mon idée j’ai dû constater ensuite que je suis arrivé trop tard avec ma belle invention. En 2017, un sociologue australien du nom de Mark McCrindle a eu la même idée avant moi. Pour lui, les α arrivent aujourd’hui tout juste à l’école (Quelle chance ! Nous aurons le temps pour nous y préparer !). Il est encore difficile à « prédire leur comportement mais on a quelques indices ». Contrairement aux vieux Z, les futurs α ne sont pas seulement nés « avec mais DANS le numérique ». « 75% des enfants de 2 ans ont déjà testé des jeux vidéo ou des applis sur un smartphone. » Les α seront simplement « connectés à tout ». Leur nouvelle poupée Barbie est déjà équipée d’une « intelligence artificielle capable de dialoguer » (informations diffusées sur le site de France Inter). Les α auront donc appris à dialoguer grâce à leur poupée Barbie ! Voilà une nouvelle très rassurante pour nous, les enseignants. Nos futurs étudiants sauront parler avec nous grâce à une formation au dialogue très poussée !
Quel sera alors encore notre rôle à nous ? Nous aurons peut-être juste à les encourager à penser, c’est-à-dire à penser lentement. Comme les α seront connectés à tout, ils pratiqueront leur ‘Fast Thought’ comme on consomme le ‘Fast Food’! Comme pour l’appareil digestif, les effets néfastes de ce type de nourriture seront inévitables pour le cerveau ! Apprenons leur donc la LENTEUR. Pratiquons avec eux la lecture lente, la réflexion lente, la contemplation lente afin qu’ils comprennent qu’il y a des expériences merveilleuses réservées aux êtres humains qui nécessitent du temps, d’un temps très long même. «Let us say: Only slow food for really strong thought! » La lecture de Proust ne pourra jamais se faire en quelques clics. Mettons-nous avec eux à la recherche du temps … advenant !
Jörg Eschenauer